Lecteurs, lectrices du JDD, nous sommes depuis le 22 juin, sidérés et inquiets. Sidérés et inquiets qu’un appui revendiqué d’Éric Zemmour prenne la direction du Journal du Dimanche (JDD). Depuis l’information du Monde confirmée le lendemain par la direction du groupe Lagardère, les équipes du JDD sont en grève pour protester contre la nomination de Geoffroy Lejeune, qui dirigeait jusqu’à très récemment l’hebdomadaire d’extrême droite Valeurs actuelles, condamné sous sa direction pour injures publiques à caractère raciste. Nous soutenons la rédaction dans son combat.

Abonnés, ou simples citoyens, nous ne pouvons nous résoudre à voir ce rendez-vous dominical de référence véhiculer des opinions contraires aux valeurs républicaines qu’il porte depuis soixante-quinze ans. Qu’on l’aime ou qu’on ne l’aime pas, qu’on le lise ou qu’on ne le lise pas, le JDD, avec ses qualités et ses défauts, est toujours resté attaché à la diversité des opinions. Il ne peut devenir un journal au service des idées d’extrême droite.

Ce changement brutal dans la ligne éditoriale va mettre en danger une relation de confiance avec les lecteurs, et risque de renforcer la défiance des citoyens envers la presse, les médias, ce qui n’est jamais une bonne nouvelle pour la démocratie.
Le travail des journalistes de la rédaction est menacé par cette nomination : seront-ils assurés de pouvoir continuer à traiter tous les sujets dans une rédaction dirigée par Geoffroy Lejeune, et sans enfreindre la déontologie journalistique au service d’idées contraires ? Leurs sources seront-elles assez en confiance pour continuer à travailler avec elles et eux ?

Deux semaines après le feu vert sous conditions de la Commission européenne pour l’offre publique d’achat de Vivendi sur Lagardère, qui s’inscrit dans un mouvement plus vaste de concentration des médias, cette décision radicale laisse augurer une transformation à marche forcée dont est coutumier l’homme d’affaires Vincent Bolloré. Une brutalité dont ont déjà été victimes les rédactions de Canal+, d’iTélé (devenue CNews), d’Europe 1 et de Prisma Presse.

Remettre en question l’indépendance éditoriale d’un journal quel qu’il soit est une atteinte à l’équilibre démocratique dont l’un des socles est la liberté de la presse. Inquiets pour les salariés, nous le sommes également concernant la pérennité du titre : une telle nomination pourrait ainsi repousser les annonceurs, et mettre en danger un titre de presse fondé en 1948. De nombreux lecteurs ont déjà émis le projet de se désabonner, une autre menace pour notre survie. Le JDD Magazine, publication ambitieuse qui vient d’être lancée, pourrait ainsi connaître un coup d’arrêt qui lui serait fatal.

Défendre l’indépendance des médias n’est pas un débat partisan : soutenir la rédaction en grève du JDD ne signifie pas être « de droite » ou « gauche ». Au contraire, une presse libre est garante de la diversité des opinions, et de leur pluralité. C’est pour cela que nous soutenons la demande de la rédaction de travailler à l’adoption d’une charte éditoriale, qui préserverait l’indépendance de la rédaction et sa déontologie, ainsi que leur revendication de se doter d’un statut juridique, qui leur permettrait par exemple de faire valoir un droit d’opposition collectif à toute décision qui pourrait remettre en cause son indépendance.
Ce combat dépasse le JDD : pour la première fois en France depuis la Libération, un grand média national sera dirigé par une personnalité d’extrême droite. Un dangereux précédent qui nous concerne tous.

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